jeudi 14 avril 2011

Il était une fois... une corneille sp.!!!

Il y a cinq ans presque jour pour jour, le 8 avril 2006, Christiane et moi avons fait une rencontre plutôt étrange. Voici intégralement la note que j’ai inscrite sur notre feuillet d’observations quotidiennes rempli à Rivière-Ouelle cette journée-là :
« Corneille sp : Une corneille non-identifiée??? Eh oui! Ce matin, nous avons observé une corneille que nous n’avons pas osée identifier à l’espèce! Postés à l’embouchure de la rivière Ouelle, nous jettions un coup d’œil aux oiseaux présents lorsqu’une corneille arrivant du boisé nous survola en lançant d’étranges cris nasillards. La corneille continua sa route au-dessus de la rivière pour finalement se poser dans un champ de l’autre côté. Ce sont, bien sûr, les cris nasillards de l’oiseau qui sont intriguants! Lançés en solo ou en duo, les six ou sept cris entendus ne ressemblent en rien à ceux de la Corneille d’Amérique. Ils correspondent cependant en tout point à ceux de la Corneille de rivage (Corvus ossifragus), cris que nous connaissions déjà grâce à des enregistrements ou entendus lors de voyages au New Jersey!!! La Corneille d’Amérique lance parfois des cris nasillards mais qui sont franchement différents de ceux entendus aujourd’hui (cris que nous connaissons d’ailleurs très bien). Il s’agit alors habituellement de jeunes quémandant de la nourriture, ce qui ne peut être le cas au début d’avril. Une femelle qui couve ou qui se prépare à le faire peut aussi lancer ces cris de quémandage mais notre étrange corneille était seule et s’éloignait en terrain découvert, loin des sites de nidification.
La Corneille de rivage niche le long de la côte atlantique américaine et est en pleine expansion le long des principaux cours d’eau qui s’y jettent. Elle a même déjà niché à Burlington, au Vermont, soit à moins de 70 km de la frontière québécoise! Il est donc très surprenant que l’espèce n’ait pas encore été signalée au Québec! Même si les critères physiques différenciant les deux espèces sont extrêmement subtiles, nous aurions préféré voir notre oiseau en compagnie d’une de nos bonnes vieilles corneilles, ne serait-ce que pour juger de sa taille et de ses proportions. Mais, curieusement et contrairement aux autres corneilles qui, à cette époque de l’année, se tiennent souvent en couple ou en trio, notre oiseau était seul… Dans l’espoir de retrouver cette corneille non-identifiée, nous avons patrouillé le secteur durant plus d’une heure en portant une attention particulière à tous les cris de corvidés, mais sans succès. La corneille de Rivière-Ouelle pourrait-elle être la première Corneille de rivage de la province? Probablement, si on se fit aux cris, mais nous préférons rester prudents. Même avec chacun 30 ans d’expérience en ornithologie de terrain, il nous apparaît risqué d’identifier une telle rareté à partir de seulement quelques notes entendues durant 15 secondes. Mais, nous savons bien que, pour l’éternité, nous nous dirons : “Honnêtement, qu’est-ce que ça pouvait être d’autre???! »
Vous voyez sûrement où je veux en venir… Comment se fait-il que la présence de la Corneille de rivage n’ait pas encore été confirmée au Québec??? Puisque l’espèce se rencontre régulièrement à moins de 70 km de la frontière le long du lac Champlain, c’est probablement dans le secteur de Philipsburg ou encore le long de la rivière Richelieu que la première Corneille de rivage sera trouvée. J’espère que les observateurs qui fréquentent ces secteurs en sont conscients et qu’ils se promènent les oreilles grandes ouvertes! Bien entendu, il est toujours possible qu’un oiseau se laisse emporter par un mouvement de Corneilles d’Amérique et se retrouve n’importe où… comme à Rivière-Ouelle par exemple. Il sera sûrement difficile de bien documenter sa découverte, à moins d’avoir frais en mémoire la fonction vidéo de sa caméra numérique (ce n’est pas toujours mon cas). En attendant, voici un site internet plutôt bien fignolé de l’université Cornell pour se remettre en mémoire les légères différences entre ces deux belles bêtes noires.
La Corneille de rivage migre et niche plus tardivement que notre corneille et c’est probablement en mai que les chances d’en trouver une sont les plus élevées. Nous entrons donc dans la meilleure période. Bonne chance à tout le monde (moi inclus)!