mercredi 1 août 2012

De passage au pays des mouettes

Nous avons habité aux Escoumins durant quelques années. Dans cette région, les périodes creuses ornithologiquement sont plutôt rares; en fait, c’est le début du mois d’avril que je trouvais le plus pénible, probablement parce que les oiseaux que je savais être arrivés dans ma région natale tardaient à se présenter aux Escoumins! La deuxième moitié du mois de juillet est très occupée localement, entre autres à cause de l’arrivée massive des Mouettes de Bonaparte. Ces petits laridés, qui nichent dans la forêt boréale, font leur apparition dès la mi-juillet pour ensuite atteindre un sommet d’abondance en septembre. En plus, un nombre variable d’individus, surtout des oiseaux âgés d’un an qui sont trop jeunes pour nicher, passent régulièrement l’été sur la Haute-Côte-Nord. Avec les autres laridés qui nichent dans le secteur, les Mouettes de Bonaparte se rassemblent dans la baie des Escoumins où ils profitent tous ensemble de l’eau douce provenant de la rivière pour enlever le sel marin de leur plumage. Tous ces oiseaux forment une belle masse grouillante qui ne peut faire autrement que d’attirer les autres mouettes de passage dans le secteur.
Durant les sept années que nous avons passées sur la Haute-Côte-Nord, nous avons réussi à voir pas moins de 16 espèces de goélands et mouettes dans la toute petite baie des Escoumins. À l’époque, et c’est probablement encore vrai aujourd’hui, certaines espèces considérées « rares » au Québec y étaient même régulières… À moins que ce ne soit parce que nous étions nous-mêmes réguliers au site?!? À chaque jour sans exception, nous nous rendions derrière la célèbre poissonnerie, à la pointe de la croix ou encore au quai afin d’inspecter les mouettes et goélands; en fait, nous avons dû inspecter un à un des centaines de milliers de laridés durant ces quelques années!
Parmi les « Occupations autres » prévues durant nos quelques jours de vacances, une visite au Saguenay était au programme. Même si la Haute-Côte-Nord n’était pas sur notre chemin, nous avons opté pour un petit détour par Les Escoumins, question de voir si « nos » mouettes étaient toujours aussi coopératives. Tôt vendredi dernier, par une température très agréable, nous avons donc pris la route de Trois-Pistoles d’où le traversier allait nous conduire aux Escoumins. Étant avant tout des birders, nous avons bien sûr planifié notre petit voyage de façon à ce que ce soit le plus profitable possible pour les oiseaux. Il ne restait qu’à espérer que ces derniers collaborent…

Vendredi le 27 juillet, le traversier quittait le quai de Trois-Pistoles à 7 h 15 alors que la marée atteingnait sa hauteur maximale. La visibilité était plutôt bonne et un vent faible soufflait du nord. Nous avons déjà fait plusieurs traversées entre Les Escoumins et Trois-Pistoles à la fin de juillet et certaines s’étaient avérées très fructueuses. Au fil des années, nous avions même pris l’habitude de noter les conditions rencontrées durant les traversées, en espérant trouver les raisons qui font que certaines sont si riches en oiseaux alors que d’autres sont d’une pauvreté absolue. La direction et la force des vents, la marée au départ et à l’arrivée, la quantité de lignes de débris marins au large (ce sont souvent elles qui décident de tout mais elles sont impossibles à prévoir du rivage), la visibilité; en fait, il n’y a probablement que le nombre de touristes nous demandant si nous regardons les baleines (!!!) que nous n’avons pas noté! Avant que la mode de noliser des bateaux pour aller voir les oiseaux pélagiques ne se développe, le traversier de Trois-Pistoles/Les Escoumins était souvent le seul moyen d’avoir accès au large. Même accosté au quai des Escoumins, nous réussissions à faire ce qui était à l’époque de « bonnes » observations. C’est ainsi que j’ai pu voir ma toute première Mouette pygmée le 8 septembre 1984, peu après avoir vu mes trois premières Mouettes de Sabine au large!
La dernière traversée que nous avons effectuée, en plein après-midi le 20 juillet 2009, nous avions réussi à voir un Océanite cul-blanc et un Fulmar boréal! Nous n’en demandions pas tant pour cette fois, mais les conditions étaient propices à de telles rencontres. Nous étions donc prêts pour la traversée! Malheureusement, ce fut très décevant! Même les Labbes parasites ont brillé par leur absence, eux qui sont souvent visibles du rivage dès la mi-juillet. En fait, la seule chose qui nous a surpris durant la traversée fut la présence marquée de Marsouins communs, en particulier près de la moitié sud de la traversée.
Malgré cette déception, ce fut avec un grand plaisir que nous avons retrouvé le village des Escoumins. Il n’a pas vraiment changé depuis 2003 et les oiseaux continuent à être omniprésents un peu partout. Les villages « en longueur » de la Côte Nord font que la forêt n’est jamais bien loin de la côte et les Parulines tristes et les Bruants de Lincoln peuvent encore être entendus du cœur du village alors que Mouettes tridactyles et Eiders à duvet voltigent le long de la route 138. Nous avons d’ailleurs trouvé un Moqueur polyglotte aux Escoumins, une autre espèce relativement facile à voir sur la Haute-Côte-Nord. Ces oiseaux n’ont pas d’autre choix que d’habiter dans les premiers 500 mètres en bordure du fleuve; plus loin vers l’intérieur, c’est la forêt!
Mouettes de Bonaparte – Les Escoumins – 27 juillet 2012 © Claude Auchu
Mouettes de Bonaparte – Les Escoumins – 27 juillet 2012 © Claude Auchu
Bien entendu, ce sont surtout les mouettes que nous voulions voir, encore une fois. La Mouette pygmée est omniprésente parmi les nombreuses Mouettes de Bonaparte rassemblées aux Escoumins et, habituellement, elles sont faciles à repérer. À preuve, j’ai vu l’espèce plus de 50 journées en 2001 avec régulièrement jusqu’à 4-5 oiseaux! Bien installés derrière la poissonnerie, nous avons donc inspecté encore et encore chacune des 1300 Mouettes de Bonaparte à la recherche de l’oiseau plus petit et plus trapu avec une large calotte noire. Mais, rien à faire, nous ne pouvons que confirmer qu’il n’y a avait pas de Mouette pygmée (ni rien d’autre de notable) dans ce beau petit groupe de laridés.
En 2001, Christiane s'était amusée à dessiner une scène courante aux Escoumins.
"Mouette pygmée et Mouettes de Bonaparte", acrylique © Christiane Girard - 2001
Nous aurions bien aimé revivre ce petit coup d’adrénaline que fournissait toujours la découverte de cet oiseau pourtant régulier. Nous savons bien que les « pygmées » devaient simplement être ailleurs, dans une autre baie ou à la sortie d’une autre rivière. Nous aurions bien voulu… mais où serait le plaisir du birding si nous pouvions si facilement prévoir tous les oiseaux? Nous nous reprendrons bien un jour, lors d’un prochain passage dans le pays des mouettes!

Dans la région de La Pocatière, le nombre de Mouettes de Bonaparte n’est jamais aussi élevé que sur la Haute-Côte-Nord. Ici, quelques dizaines d’oiseaux est suffisant pour satisfaire les observateurs les plus ambitieux. Malgré cela, les mouettes rares sont étonnamment régulières. Les Mouettes atricilles et les Mouettes de Franklin, en particulier, n’ont pas besoin de la présence des « Bonaparte » pour visiter la rive sud du Saint-Laurent. La rencontre de l’eau salée et de l’eau douce serait-elle responsable de ces présences? Ou encore le frai du capelan au début de juin qui arrête les oiseaux dans la région? Encore des questions…