mardi 7 mai 2013

« C’est une Swainson!!! »

Il y a des journées qui semblent être destinées à passer à l’histoire. La journée de samedi le 4 mai 2013 en était une et elle s’est assurée de l’être de bien des façons!
Puisque la météo a toujours son importance, et pour une fois qu’elle était clémente, parlons-en en bien. En une dizaine de jours, nous sommes littéralement passés du mois de mars (avec, par exemple, un petit –2°C le 25 avril à 15 h 00) au mois de juillet (avec un gros 28°C le 5 mai à 15 h 00). Des conditions aussi agréables ont bien sûr des conséquences sur les oiseaux qui traversent la région mais aussi sur nous, les observateurs, qui espérons toujours de bonnes raisons d’étirer nos sorties sur le terrain. Et c’est justement une sortie prolongée à un site bien connu qui a couronné une journée qui, de toute façon, aurait été magnifique.

Parce que, samedi, malgré un Goéland brun (!), des Labbes parasites hâtifs (!!), plus de 9600 Plongeons catmarins (!!!) et même un Gobemoucheron gris-bleu (!!!!), la vedette de la journée aura été une Buse de Swainson!!!!! Dans mes deux derniers messages, je vous ai parlé de la migration printanière des oiseaux de proie dans la région et du fait que ces oiseaux, se déplaçant vers le nord, doivent trouver un endroit propice pour franchir le fleuve Saint-Laurent. Le point de départ vers la rive nord doit varier selon l’espèce (probablement même selon l’individu) et les conditions météorologiques et ce ne doit pas être facile pour un observateur d’être un témoin direct de ce phénomène. Personnellement, j’ai depuis longtemps l’habitude de quitter le quai avant 9 h 30, soit avant que les mouvements migratoires des oiseaux de proie soient vraiment débutés (les rapaces préfèrent se déplacer durant les heures les plus chaudes de la jourmée pour profiter des ascendances thermiques qui leurs permettent de parcourir de longues distances sans dépenser d’énergie). Il y a trois ans cependant, en lisant le journal du Club des ornithologues de Québec, j’ai eu la surprise d’y trouver ce qui suit :
« Un passage massif d’au moins 180 Petites Buses (décompte conservateur) s’est déroulé entre 10 h et 11 h 30 le 29 avril [2009] à Rivière-Ouelle. À un certain moment, Robin Gingras pouvait compter 80 Petites Buses volant ensemble. Les oiseaux se rassemblaient au-dessus de la Pointe-aux-Orignaux pour ensuite traverser le fleuve. » (Bulletin ornithologique, vol. 54, no. 2, p.62) 
La Pointe-aux-Orignaux de Rivière-Ouelle, c’est là que se trouve le quai!!! Cette observation de mon ami Robin m’avait beaucoup intrigué. Deux ans plus tard, le 25 avril 2011 vers 10 h 00, Christiane et moi avions observé 22 Buses à queue rousse lever rapidement devant nous près du quai avec, selon nous, l’intention de traverser le fleuve. La semaine dernière, encore en milieu d’avant-midi, le même phénomène s’est produit. Quitter le quai un peu plus tardivement en     avant-midi pourrait donc réserver des surprises…!
Samedi dernier, c’est encore vers 10 h 00 que nous avons quitté le quai. Au large, les déplacements d’oiseaux marins avaient pratiquement cessé et les tonnes de Plongeons catmarins comptées plus tôt s’étaient posées à l’eau. D’ailleurs, durant nos quinze dernières minutes au quai, Christiane était assise le dos au fleuve et comptait les rapaces qui commençaient à apparaître depuis l’intérieur des terres. À ce moment, il était difficile de s’assurer que ce n’était pas toujours les mêmes oiseaux  puisqu’ils se déplaçaient dans un sens puis dans l’autre. Mais quelques secondes à peine après s’être mis en route, Christiane m’a signalé un petit groupe d’une douzaine d’oiseaux tournoyant tout près. Nous sommes sortis rapidement de la voiture pour les identifier. Le groupe contenait sept ou huit Petites Buses, deux B. à queue rousse, un Épervier brun et… un oiseau qui a rapidement attiré mon attention. Il s’agissait de toute évidence d’une buse par sa silhouette, mais le dessous de son corps et ses couvertures sous-alaires m’ont apparu entièrement sombres! Chose certaine, ce n’était pas une Buse pattue qui aurait été nettement plus massive et trapue. De plus, mon oiseau n’avait pas de grande zone blanche aux rémiges primaires et sa queue était sombre à son extrémité mais devenait graduellement plus pâle vers sa base. Tout s’est bousculé dans ma tête en une seconde et j’ai lancé à Christiane : « Suis cet oiseau-là! » pendant que, voyant la buse glisser vers nous, je me dépêchais de saisir l’appareil-photo dans la voiture. En voyant la buse dans ses jumelles, Christiane l’a reconnue à son tour : « C’est une Swainson!!! ». Oui, une Buse de Swainson arrivant des champs passait 50 mètres au-dessus de nos têtes et glissait rapidement vers le quai! Alors qu’elle s’éloignait de nous, je n’ai eu le temps de prendre que quelques mauvaises photos de l’oiseau. Nous sommes repartis en trombe vers le quai mais, une fois sur place, la buse avait déjà disparu. Nous espérions que le fleuve bloque son passage mais, voyant les Buses à queue rousse qui l’accompagnaient survoler le quai et se diriger vers Charlevoix, nous avons compris que notre Buse de Swainson avait visiblement pris le même chemin!
Même si l’observation n’a duré qu’une trentaine de secondes et que seuls les dessous de l’oiseau ont pu être observés adéquatement, l’identification s’est faite très rapidement et facilement. Nous avons tous les deux des milliers d’heures d’expérience dans l’observation des oiseaux de proie en général, ce qui nous a sûrement aidé à reconnaître la silhouette particulière de la buse. Son corps élancé ainsi que ses ailes étroites et pratiquement pointues nous ont rapidement sauté aux yeux. Même sa queue nous a paru différente de celles des autres buses, avec sa base paraissant plus étroite et les « coins » mieux découpés. Les dessous pratiquement noirs de notre oiseau, menton inclu, indique qu’il s’agissait d’un adulte parmi les plus sombres. À noter que moins de 10% des Buses de Swainson sont de forme sombre ou intermédiaire. Outre la base de sa queue et le dessous des rémiges à peine plus pâles que les sous-alaires, les seules parties qui ne nous ont pas parues noirâtres étaient une petite zone nettement plus claire à la base des 2-3 primaires les plus externes et les côtés du croupion blanchâtres qui dépassaient de chaque côté de la base de la queue. Même les sous-caudales qui devaient être claires n’étaient pas apparentes, mais elles peuvent être rayées chez les oiseaux de forme sombre et elles se fondaient peut-être avec la base plus pâle de la queue.
Le plus surprenant dans toute cette histoire est que la Buse de Swainson a de toute évidence quitté la rive sud pour se diriger vers Charlevoix qui, à son point le plus près du quai de Rivière-Ouelle, se trouve tout de même à 14,1 kilomètres! Nichant dans les prairies du centre du continent, la Buse de Swainson est une grande migratrice qui hiverne dans les pampas de l’Argentine. Quelques oiseaux sont vus régulièrement aux principaux sites de décompte d’oiseaux de proie de l’est de l’Amérique du Nord, principalement en automne. Il existe moins de 20 mentions au Québec dont une dans la grande région de La Pocatière, à Saint-André de Kamouraska le 1er juillet 2005. Comme les autres migrateurs de longue distance, des oiseaux sont parfois trouvés à des endroits surprenants (il existe quatre mentions à Terre-Neuve) ou encore totalement invraisemblables (en Norvège et en Israël, bien que ces deux oiseaux étaient possiblement d’origine captive)!!! Nous étions pleinement conscients de la possibilité de voir cette espèce dans la région un jour et, lorsque nous voyons des oiseaux de proie en migration, elle n’est jamais bien loin dans nos têtes. Nous aurions même pu en trouver une perchée dans un arbuste ou posée au sol dans un champ. Mais jamais je n’aurais cru que c’est le quai de Rivière-Ouelle qui allait nous offrir ce cadeau!
Il n’y avait pas qu’une buse à Rivière-Ouelle samedi matin, aussi rare soit-elle! Bien d’autres oiseaux presque aussi intéressants se sont présentés à nous, dont certains en quantités industrielles. Les conditions d’observation aussi étaient remarquables et quelques observateurs de passage ont pu les savourer autant que nous.

Voici donc certaines des 78 espèces d’oiseaux que Rivière-Ouelle avait à nous offrir en ce magnifique samedi 4 mai entre 5 h 10 et 13 h 25 :
  • 700 Oies des neiges
  • 1 Bernache de Hutchins – Comme il arrive souvent, cette petite bernache préférait la compagnie des Oies des neiges à celle des Bernaches du Canada.
  • 915 Bernaches du Canada
  • 3 Canards d’Amérique
  • 51 Canards noirs
  • 6 Canards colverts
  • 46 Sarcelles d’hiver
  • 15 Fuligules à collier
  • 54 Fuligules milouinans
  • 19 Petits Fuligules
  • 108 Eiders à duvet
  • 102 Macreuses à front blanc
  • 8 Macreuses brunes
  • 1000 Macreuses à bec jaune
  • 21 Hareldes kakawis
  • 18 Garrots à œil d’or
  • 1 Harle couronné
  • 99 Grands Harles
  • 177 Harles huppés
  • 9660 Plongeons catmarins – Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les catmarins étaient encore très fébriles samedi matin! À un certain moment, il était pratiquement impossible de compter un à un tous les oiseaux qui volaient vers l’ouest et Christiane a dû se résoudre à les compter par dix tellement le passage était intense! À notre départ, ils étaient des centaines posés à l’eau au large du quai (et ils étaient sûrement bien placés pour voir passer la Buse de Swainson!!!). Il s’agit de notre deuxième meilleur total de Plongeons catmarins à Rivière-Ouelle, mais les 11020 vus le 29 mai 2011 avaient été comptés en seulement 50 minutes!
  • 5 Plongeons huards
  • 2 Fous de Bassan
  • 1165 Cormorans à aigrettes
  • 4 Grands Hérons
  • 7 Urubus à tête rouge
  • 2 Busards Saint-Martin
  • 2 Éperviers bruns
  • 43 Petites Buses
  • 1 Buse de Swainson – Une description apparaît, bien entendu, sur le feuillet d’observations quotidiennes que nous avons rempli pour ÉPOQ.
Il n'est pas facile de photographier en vitesse un oiseau sombre sur fond de ciel bleu! La meilleure photo de la Buse de Swainson permet à tout le moins de voir la partie la plus claire de l'oiseau, cette petite zone à la base des 2-3 rémiges primaires les plus externes. 
Buse de Swainson – Rivière-Ouelle – 4 mai 2013 © Claude Auchu
  • 17 Buses à queue rousse
  • 1 Grand Chevalier
  • 1 Petit Chevalier
  • 4 Mouettes tridactyles
  • 18 Mouettes de Bonaparte
  • 700 Goélands à bec cerclé
  • 50 Goélands argentés
  • 14 Goélands arctiques
  • 1 Goéland brun – Un adulte.
  • 1 Goéland bourgmestre
  • 20 Goélands marins
  • 3 Labbes parasites – Cette mention égale mon record personnel d’arrivée la plus hâtive (établi en 1992) pour cette espèce remarquablement régulière à Rivière-Ouelle en mai.
  • 29 Petits Pingouins
  • 2 Martins-pêcheurs d’Amérique
  • 4 Pics flamboyants
  • 3 Crécerelles d’Amérique
  • 1 Viréo à tête bleue
  • 23 Hirondelles bicolores
  • 1 Hirondelle à front blanc – Comme les Hirondelles bicolores de la semaine dernière, l’Hirondelle à front blanc filait vers le large à partir du quai.
  • 5 Hirondelles rustiques
  • 19 Mésanges à tête noire
  • 1 Troglodyte des forêts
  • 1 Gobemoucheron gris-bleu – La présence de ce petit passereau accidentel dans la région s’est retrouvée dans l’ombre de la célèbre buse. Ce mâle ne donnait pourtant pas sa place en étant très actif et en lançant régulièrement son cri caractéristique. C’est ma quatrième mention de l’espèce à Rivière-Ouelle et elles ont toutes été faites précisément au même endroit, à l’intérieur d’un rayon de 30 mètres! Dans ma région, outre mes autres observations de septembre 1989, mai 2004 et septembre 2007, il existe une autre mention automnale à Rivière-Ouelle et deux printanières à La Pocatière.
Gobemoucheron gris-bleu – Rivière-Ouelle – 4 mai 2013 © Claude Auchu
Gobemoucheron gris-bleu – Rivière-Ouelle – 4 mai 2013 © Claude Auchu
Gobemoucheron gris-bleu – Rivière-Ouelle – 4 mai 2013 © Claude Auchu
  • 4 Roitelets à couronne dorée
  • 15 Roitelets à couronne rubis
  • 2 Grives solitaires
  • 1 Pipit d’Amérique
  • 5 Parulines à croupion jaune
  • 37 Bruants chanteurs
  • 12 Bruants à gorge blanche
  • 106 Quiscales bronzés
  • 1 Sizerin flammé
 Il semble bien que nous devrons maintenant bien vérifier le ciel en quittant le quai au printemps et peut-être même y aller en après-midi au cas où... Il reste à bien comprendre les vents que les oiseaux de proie recherchent pour s’envoler vers Charlevoix (samedi matin, de faibles vents soufflaient du nord-est). Et l’automne, est-ce que la même chose peut se produire? Même en ne visitant le quai de Rivière-Ouelle que tôt le matin, nous avons tout de même déjà vu des Buses pattues, des Balbuzards pêcheurs et des Faucons pèlerins arriver du large en automne. Que peut-il se passer durant un après-midi de la mi-octobre lorsque plus de 1000 buses longent la côte de Charlevoix??? Comparativement à Kamouraska et à La Pocatière, qui sont tous deux situés dans le fond de grandes baies, il est surprenant de voir à quel point la Pointe-aux-Orignaux (et le quai de Rivière-Ouelle qui s’y trouve) est relativement près de Charlevoix. Les oiseaux de proie qui migrent en altitude le remarquent sûrement eux aussi. Ce sera à vérifier!

Dimanche matin, les images de la Buse de Swainson bien imprimées dans nos têtes (à défaut de l’être dans notre ordinateur), nous avons parcouru les alentours de La Pocatière à la recherche de passereaux. Le beau temps ayant sans doute fait son oeuvre, les oiseaux semblaient nettement moins présents que la veille. Mais, tout de même, la température était encore estivale et la randonnée à vélo allait sûrement en valoir la peine. Nous avons donc effectué un de nos circuits favoris qui nous conduit de la ville à une forêt mixte, ensuite à travers les champs pour se terminer sur les battures du Saint-Laurent.

Cette promenade à La Pocatière dimanche le 5 mai nous aura permis de voir 67 espèces entre 6 h 00 à 13 h 10, parmi lesquelles :
  • 2 Canards branchus
  • 19 Fuligules à collier
  • 5 Petits Garrots – Cinq femelles dormaient ensemble sur le fleuve.
  • 8 Gélinottes huppées
  • 13 Urubus à tête rouge
  • 3 Balbuzards pêcheurs – Le balbuzard est une espèce étonnamment rare dans la région immédiate de La Pocatière, même en migration.
  • 1 Busard Saint-Martin
  • 3 Éperviers bruns
  • 7 Petites Buses
  • 4 Buses à queue rousse
  • 9 Pics maculés
  • 6 Pics mineurs
  • 3 Pics chevelus
  • 4 Pics flamboyants
  • 2 Grands Pics
  • 2 Faucons émerillons
  • 5 Moucherolles phébis
  • 4 Viréos à tête bleue
  • 30 Alouettes hausse-col
  • 13 Hirondelles bicolores
  • 6 Troglodytes des forêts
  • 6 Roitelets à couronne dorée
  • 17 Roitelets à couronne rubis – Sont-ils vraiment plus communs que les Roitelets à couronne dorée ou simplement plus bruyants? Un seul Roitelet à couronne rubis fait sûrement plus de bruit et déplace plus d’air qu’une bande de cinquante Roitelets à couronne dorée!
  • 5 Grives solitaires
  • 54 Merles d’Amérique
  • 6 Pipits d’Amérique
  • 2 Parulines à joues grises
  • 16 Parulines à croupion jaune
  • 1 Paruline à gorge noire – À trois jours seulement de ma date la plus hâtive dans la région!
  • 2 Bruants hudsoniens
  • 36 Bruants familiers
  • 1 Bruant vespéral – Dûe à sa rareté grandissante, chaque rencontre avec ce bruant est maintenant un événement.
  • 18 Bruants des prés
  • 74 Bruants chanteurs
  • 34 Bruants à gorge blanche
  • 50 Juncos ardoisés
  • 1 Cardinal rouge – Une femelle chantait avec cœur à cinq kilomètres du site où deux autres ont hiverné! À ma connaissance, il s’agit de la première mention de l’espèce en mai dans la région. La colonisation serait sûrement plus facile s’il y avait des mâles.
  • 1 Roselin familier
  • 2 Tarins des pins
  • 6 Chardonnerets jaunes
  • 10 Gros-becs errants
 Voilà donc une autre fin de semaine qui nous aura offert son lot de surprises avec les questions qui les accompagnent. Autrement dit, d’autres bonnes raisons de sortir observer les oiseaux, comme si nous en avions besoin!!!