mardi 22 juillet 2014

Le fameux Bec-en-ciseaux noir!

J’ai toujours classé la deuxième moitié du mois de juillet parmi les périodes ornithologiques les plus tranquilles de l’année, pas très loin derrière la fin de janvier! Les oiseaux chantent à peine, les groupes de migrateurs ne font que commencer à se former et, en plus, il fait chaud. Mais, en 2014, un événement vraiment particulier à mis du piquant, beaucoup de piquant, dans l’histoire ornithologique régionale : la découverte d’un Bec-en-ciseaux noir à Rivière-Ouelle!!!
Pour nous, tout a débuté de façon bien routinière. Vendredi soir, comme je le fais quotidiennement depuis des années, je me suis installé à l’ordinateur immédiatement après avoir lavé la vaiselle. Le premier site que je visite est toujours la page des oiseaux rares du Québec du Regroupement QuébecOiseaux. Même si nous n’allons jamais voir les raretés mentionnées dans cet excellent site, nous aimons bien savoir ce qui circule dans la province, ne serait-ce pour rester alertes. Vendredi, j’ai été bien surpris de voir un Bec-en-ciseaux noir figurer sur la photo du jour! Ma surprise s’est rapidement transformée en stupeur lorsque j’ai constaté que l’oiseau avait été photographié à Rivière-Ouelle, donc pratiquement dans ma cour!!!! Rapidement, Christiane et moi avons tout laissé tomber, ramassant jumelles, télescopes et appareil photo en vitesse pour nous retrouver, dix minutes plus tard, sur le chemin de la Pointe. Un coup d’œil rapide aux différents lieux de rassemblement traditionnels des goélands n’a cependant rien donné et, après 45 minutes, nous étions déjà de retour à la maison. De toute façon, une excursion à Rivière-Ouelle était déjà planifiée pour samedi matin et la marée haute à 10 h 00 allait sûrement augmenter les chances de retrouver le bec-en-ciseaux… et c’est sans compter que nous n’allions sûrement pas être les seuls à le chercher!

Samedi, les conditions étaient encore une fois superbes pour cette excursion qui risquait fort de passer à l’histoire. Nous avons décidé de suivre notre itinéraire habituel et de commencer la journée au quai pour profiter des courts instants de l’aube où les oiseaux se déplacent. En nous installant au bout du quai, nous inspectons toujours le rivage de part et d’autre du quai avant de nous concentrer sur le large. J’avais à peine mis l’œil dans le télescope que je suis tombé sur le bec-en-ciseaux qui ratissait l’anse des Mercier à la limite de la marée basse!!! Estomaqué, j’ai lancé à Christiane : « Y’é là! » pour me faire répondre un : « Niaise-moé donc toé! » incrédule. J’ai insisté : « Y’é là! Il… il… il "skim"…! (comment décrire en vitesse la technique de pêche d’un tel oiseau?!?) ». Le temps qu’elle se retourne avec son télescope, j’ai ajouté : « Il est à la limite de l’eau… pas loin de la pêche à anguilles… vis-à-vis les deux Grands Hérons… ». Finalement, Christiane l’a repéré à son tour et, en quelques secondes, nous avons ramassé nos instruments pour nous approcher de la vedette. Le bec-en-ciseaux suivait un trajet bien défini, se dirigeant vers le nord sur une centaine de mètres avant de faire demi-tour et, face au petit vent du sud, fendre l’eau avec son bec. L’oiseau revenait donc régulièrement passer devant moi en me permettant de faire des photos plutôt ordinaires sous un gros soleil rose pointant à peine à l’horizon. Après un peu moins de dix minutes, il est parti vers le sud-ouest en direction du chemin de la Pointe.
Bec-en-ciseaux noir – Rivière-Ouelle – 19 juillet 2014 © Claude Auchu
Bec-en-ciseaux noir – Rivière-Ouelle – 19 juillet 2014 © Claude Auchu
Bec-en-ciseaux noir – Rivière-Ouelle – 19 juillet 2014 © Claude Auchu
 
C'est sous ce soleil magifique mais très peu lumineux que les photos précédentes ont été prises.
Rivière-Ouelle – 19 juillet 2014 © Claude Auchu
Après deux belles heures passées au quai à compter de très nombreux Plongeons catmarins, nous avons plié bagage pour continuer notre promenade l’esprit en paix, mais le corps débordant toujours d’adrénaline. Après les nombreux détours habituels, nous nous sommes rendus sur le chemin de la Pointe comme nous le faisons à chaque semaine. Comme prévu, nous n’étions pas seuls et plusieurs dizaines d’observateurs circulaient dans le secteur depuis l’aube! Le bec-en-ciseaux dormait tout près et c’est en compagnie d’amis ornithologues que nous voyons trop rarement que nous avons passé les heures suivantes. En début de l’après-midi, Jean-Denys Babin, celui qui a découvert et identifié le bec-en-ciseaux deux jours plus tôt, est venu constater l’onde de choc qu’a provoqué sa trouvaille. Il nous a raconté que c’est en prenant une simple marche de santé, sans jumelles (!), qu’il a remarqué cet oiseau particulier qu’il ne connaissait pas. Ce n’est que de retour chez lui, en consultant un guide d’identification, qu’il a fini par mettre un nom sur l’oiseau et constaté à quel point il était loin de son aire normale. Il a alors communiqué avec Denis Faucher qui a réussi à retrouver et à photographier l’oiseau vendredi. Denis a fait suivre l’information au site des oiseaux rares du Québec et le reste fait maintenant partie de l’histoire.
En discutant avec les autres observateurs, j’ai pu tracé l’itinéraire du bec-en-ciseaux pour la matinée. Nous l’avons vu quitter le secteur du quai à 5 h 19, il a ensuite été vu en vol le long du chemin de la Pointe vers 5 h 45 pour se retrouver à l’embouchure de la rivière Ouelle entre 6 h 30 et 8 h 00. Dérangé par la marée montante, il est finalement retourné vers l’extrémité est du chemin de la Pointe où il a passé une bonne partie de la journée. Après notre départ, des observateurs ont revu l’oiseau à l’embouchure de la rivière à 16 h 30 avant qu’il ne retourne vers le chemin de la Pointe vers 17 h 00.
Il ne s’agit que de la deuxième mention du Bec-en-ciseaux noir au Québec, un spécimen avait auparavant été récolté à Nicolet le 26 octobre 1938. L’oiseau de Rivière-Ouelle est de toute évidence arrivé dans notre province suite à l’ouragan Arthur qui, après avoir frôlé la Caroline du Nord le 3 juillet, a remonté vers les Maritimes en entraînant avec lui des tonnes d’oiseaux. Diverses espèces de sternes, de nombreuses Mouettes atricilles et, bien sûr, quelques Becs-en-ciseaux noirs se sont ainsi retrouvés en Nouvelle-Écosse et dans le sud du Nouveau-Brunswick. Certains oiseaux qui ont touché terre en bordure de la mer ont peut-être réussi à retourner vers le sud mais un certain nombre, affaiblis ou perdus dans un endroit trop isolé, finiront probablement par mourir sur place. Le bec-en-ciseaux de Rivière-Ouelle semblait en grande forme même si plusieurs ont remarqué qu’il dormait beaucoup. Mais c’est probablement parce que cette espèce se nourrit surtout durant la nuit, au moment où les vents sont plus faibles (et donc moins de vagues) et où les poissons se rapprochent de la surface. Christiane et moi avons repéré le bec-en-ciseaux dès 5 h 10, c’est probablement pour cette raison que nous semblons être les seuls à l’avoir vu se nourrir!
À ma connaissance, il ne s’agit que de la deuxième présence d’un oiseau directement associé à un ouragan dans la région. Au début de septembre 2010, l’ouragan Earl avait poussé des milliers de  Mouettes atricilles (entre autres!) dans les Maritimes et plusieurs s’étaient retrouvées au Québec, dont au moins trois individus dans la région. Curieusement, même si les becs-en-ciseaux évitent habituellement la haute mer, un oiseau s’est tout de même retrouvé à Cape Town, en Afrique du Sud, le 4 octobre 2012!

Il n’y avait pas qu’une seule espèce à Rivière-Ouelle samedi le 19 juillet, aussi rare soit-elle! Entre 4 h 45 et 12 h 45, nous avons repéré 61 espèces, dont :
  • 23 Oies des neiges
  • 4 Canards pilets – Maintenant rarement rapporté en bordure du fleuve en juillet. Il était pourtant commun jusqu’au début des années 1990.
  • 1 Fuligule milouinan
  • 33 Eiders à duvet
  • 1 Macreuse à front blanc
  • 4 Garrots à œil d’or
  • 123 Plongeons catmarins – Les catmarins circulaient inhabituellement près du rivage tôt samedi matin. Une telle quantité est rarement atteinte en été et, après plusieurs excursions avec « seulement » une vingtaine d’oiseaux notés, nous nous demandons combien d’individus sont réellement présents dans la région en plein cœur de l’été!
Plongeon catmarin – Rivière-Ouelle – 19 juillet 2014 © Claude Auchu
  • 1 Plongeon huard
  • 1 Fou de Bassan – Un immature en plumage de 3e année, notre premier fou depuis le 24 mai.
  • 95 Cormorans à aigrettes
  • 31 Grands Hérons
  • 1 Urubu à tête rouge
  • 1 Pygargue à tête blanche – Un immature de 1ère année a été bruyamment accompagné hors de leur territoire par un couple de Faucons émerillons.
  • 4 Pluviers semipalmés
  • 1 Bécasseau minuscule
  • 1 Guillemot marmette
  • 42 Petits Pingouins
  • 6 Mouettes de Bonaparte
  • 250 Goélands à bec cerclé
  • 10 Goélands argentés
  • 20 Goélands marins
  • 1 Bec-en-ciseaux noir – Il y a des oiseaux qui sont vraiment faciles à identifier! À 5 h 10, même si le soleil paraissait à peine à l’horizon, je n’ai eu aucune difficulté à reconnaître le bec-en-ciseaux. D’abord repéré alors qu’il s’éloignait de nous, la large bordure blanche des rémiges secondaires contrastant avec le reste des parties supérieures noires ont suffit à éliminer en une fraction de seconde toutes les autres possibilités!

Un Bec-en-ciseaux noir et un Eider à duvet sur la même photo?
À coup sûr, une des deux espèces est en dehors de son aire!
Bec-en-ciseaux noir, Eider à duvet et Goéland à bec cerclé – Rivière-Ouelle – 19 juillet 2014 © Claude Auchu


Bec-en-ciseaux noir et Goélands à bec cerclé – Rivière-Ouelle – 19 juillet 2014 © Claude Auchu

  • 1 Coulicou à bec noir – Comme il y a deux semaines, mais à un site distant de près de deux kilomètres du premier, un court arrêt près d’une zone buissonneuse nous a permis d’entendre chanter un coulicou.
  • 2 Pics flamboyants
  • 2 Faucons émerillons
  • 2 Moucherolles des aulnes
  • 7 Viréos aux yeux rouges
  • 2 Grands Corbeaux
  • 6 Hirondelles bicolores
  • 20 Hirondelles de rivage
  • 22 Hirondelles rustiques – Il est toujours plaisant de croiser des familles nombreuses de cette espèce de plus en plus rare au Québec.
  • 3 Sittelles à poitrine rousse
  • 5 Grives fauves
  • 3 Grives à dos olive
  • 2 Parulines obscures
  • 9 Parulines masquées
  • 1 Paruline flamboyante
  • 1 Paruline à collier
  • 3 Parulines à tête cendrée
  • 6 Parulines jaunes
  • 6 Bruants familiers – Un oiseau perché avec le bec débordant de matériaux de nidification nous avait déjà confirmé qu’une deuxième nichée se préparait. Mais, pour ne laisser aucun doute, un autre Bruant familier est venu s’accoupler avec le premier!
  • 5 Bruants des prés
  • 1 Bruant de Nelson
  • 19 Bruants chanteurs
  • 12 Bruants à gorge blanche
  • 1 Goglu des prés
  • 3 Roselins pourprés
Nous voilà donc avec un « lifer » inespéré. Il y a quelques années, j’ai séparé ma liste d’oiseaux en deux parties : une liste « honorable », celle des oiseaux trouvés par moi ou une personne qui m’accompagne, et une liste « honteuse », celle dont mon seul mérite se limite au fait de m’être simplement déplacé voir un oiseau trouvé par un autre observateur. Dans quelle liste devrais-je classé le Bec-en-ciseaux noir? Même si nous savions qu’il y en avait un dans la région, nous l’avons trouvé à un site inattendu qui faisait partie de notre itinéraire…!?! Bonne question!

Dimanche, l’humidité prévue se laissant attendre, nous en avons profité pour faire une randonnée à vélo à La Pocatière. Le nombre d’individus augmente lentement pour certaines espèces alors que pour d’autres, comme le Bruant familier, il semble y avoir une explosion du nombre d’oiseaux. Jusqu’à maintenant, la saison de nidification semble vraiment avoir été une réussite.

Dimanche le 20 juillet, nous avons parcouru La Pocatière entre 5 h 30 et 11 h 00 pour dénicher 69 espèces différentes, telles :
  • 50 Canards chipeaux
  • 1 Sarcelle d’hiver
  • 10 Urubus à tête rouge – Tous rassemblés sur un même pylone, un perchoir traditionnel pour les urubus du secteur depuis quelques années déjà.
  • 1 Busard Saint-Martin
  • 1 Pluvier semipalmé
  • 1 Pluvier kildir
  • 3 Chevaliers grivelés
  • 1 Petit Chevalier
  • 2 Bécasseaux minuscules
  • 1 Colibri à gorge rubis
  • 1 Pic maculé
  • 1 Pic mineur
  • 3 Pics chevelus
  • 5 Pics flamboyants – Un immature suivait pas à pas un mâle adulte sur une pelouse.
  • 5 Moucherolles des aulnes
  • 6 Moucherolles phébis
  • 1 Tyran tritri
  • 1 Viréo à tête bleue
  • 1 Viréo mélodieux – Notre premier à La Pocatière cette année! Et il chantait le long de la rue que nous empruntons quotidiennement à vélo pour aller travailler!
  • 25 Viréos aux yeux rouges
  • 87 Corneilles d’Amérique
  • 1 Grand Corbeau
  • 2 Hirondelles de rivage
  • 5 Hirondelles à front blanc
  • 10 Hirondelles rustiques
  • 23 Mésanges à tête noire
  • 8 Sittelles à poitrine rousse – Une quantité intéressante qui nous laisse déjà rêver à un hiver rempli de leurs petites notes nasillardes.
  • 1 Roitelet à couronne dorée – Un juvénile avec aucune coloration sur la calotte.
  • 5 Grives fauves
  • 1 Grive à dos olive
  • 5 Grives solitaires
  • 43 Merles d’Amérique
  • 1 Moqueur chat
  • 1 Paruline couronnée
  • 1 Paruline obscure
  • 15 Parulines masquées
  • 5 Parulines flamboyantes
  • 1 Paruline à collier
  • 3 Parulines à gorge orangée – Un mâle nourrissait deux oisillons hors du nid.
  • 7 Parulines jaunes
  • 1 Paruline à flancs marron
  • 3 Parulines bleues
  • 1 Paruline à gorge noire
  • 85 Bruants familiers – Ils étaient omniprésents avec une très forte proportion de juvéniles.
  • 20 Bruants des prés
  • 3 Bruants de Nelson
  • 32 Bruants chanteurs
  • 2 Bruants des marais
  • 12 Bruants à gorge blanche
  • 1 Junco ardoisé
  • 2 Vachers à tête brune – Dans une petite forêt de conifères, un juvénile réclamait encore à grands cris de la nourriture que ses parents adoptifs ne lui fournissaient plus. Dans un quartier résidentiel, un autre juvénile est passé bien près de se frapper contre la vitre d’une portière de voiture avant de se laisser tomber au sol. De bien belles proies pour un chat, un épervier ou un émerillon!
  • 8 Roselins pourprés
  • 29 Chardonnerets jaunes
  • 2 Gros-becs errants – Un couple en vol au-dessus d’un boisé pour une rare mention estivale récente à La Pocatière. Pourtant, au début des années 1980, je trouvais parfois des juvéniles à peine capables de voler sur les pelouses de l’Institut de technologie bio-alimentaire, pratiquement dans le centre-ville de La Pocatière!
  • 7 Moineaux domestiques
Dimanche midi, nous sommes retournés sur le désormais célèbre chemin de la Pointe, en espérant savourer à nouveau le cadeau d’Arthur. Nous n’y avons trouvé qu’une foule d’ornithologues à la mine déconfite, certains en attente depuis l’aube, le bec-en-ciseaux ayant décidé de plier bagages. Il a sans doute profité de la nuit pour aller pêcher dans des eaux peut-être plus poissonneuses. Plusieurs aimeraient sans doute savoir où…