mardi 23 août 2016

Des labbes… et pas n’importe lesquels!

Nous espérions bien que le temps relativement sec de vendredi allait se poursuivre jusqu’à samedi en mi-journée. Un vent presque nul était aussi annoncé pour samedi matin, ce qui serait déjà nettement mieux pour nous que le sud-ouest prévu pour le reste de la journée ainsi que pour dimanche. Notre décision était donc prise : samedi, on va à Rivière-Ouelle! L’excursion de dimanche vers l’intérieur des terres sera consacrée aux passereaux.

Mais voilà qu’à 4 h 30 samedi matin, un brouillard très dense flottait sur La Pocatière! Il était tout de même possible de discerner la lune, ce qui nous laissait espérer qu’il n’était pas très épais et qu’il ne recouvrait que l’intérieur des terres… Nous nous sommes donc mis en route pour Rivière-Ouelle pour nous retrouver, comme à La Pocatière, sous le brouillard. La visibilité nulle nous empêchant de commencer l’excursion par le quai comme c’est notre habitude, nous avons opté pour les zones boisées et buissonneuses. Peut-être que les passereaux ayant migré durant la nuit ont réussi à rejoindre ces secteurs lorsque le brouillard s’est formé!?! Les arrêts ont été nombreux et parfois très fructueux, ce qui nous a fourni un bel assortiment de passereaux et même quelques limicoles sur les rives du fleuve.
Il était déjà 9 h 00 lorsque nous avons atteint le quai. Il est extrêmement rare que nous arrivions au quai aussi tardivement et notre ambition à une telle heure était surtout d’ajouter un échantillon d’espèces aquatiques à notre liste de la matinée. À notre arrivée, le brouillard retraitait rapidement vers le large et la visibilité entre notre position et le mur de brume était étonnamment excellente. En nous installant au bout du quai, outre quelques cormorans, les deux premiers oiseaux observés ont été une Mouette tridactyle et un Fou de Bassan, deux espèces provenant de l’est qui nous laissaient rêver que des oiseaux pélagiques perdus dans le brouillard allaient peut-être se manifester. Mais, après deux Océanites cul-blanc il y a deux semaines et un Puffin des Anglais la semaine dernière, nous étions certains d’avoir épuisé notre part de chance pour les espèces de pleine mer! À ce moment, nous ne savions pas encore que nous allions faire une des observations les plus incroyables de nos carrières d’observateurs d’oiseaux!...
Une fois au bout du quai, bien installés sur nos fidèles petits bancs et les télescopes pointés vers le large, nous avons repris notre routine habituelle qui consiste à essayer d’identifier tous les oiseaux, même ceux qui circulent les plus loin au large. Compte tenu de l’heure, tout était plutôt calme, mais quelques fous qui remontaient lentement le fleuve gardaient nos sens en éveil. Puis, à 9 h 50, j’ai remarqué au loin un oiseau très élancé au vol léger qui se dirigeait rapidement vers le nord-est. En l’indiquant à Christiane, j’ai poussé l’oculaire de mon télescope de 20 à 60X pour confirmer qu’il s’agissait d’un labbe. Déjà, au tout premier coup d’œil, le labbe m’avait paru trop élancé pour un Labbe parasite mais, en le regardant en détail, l’absence complète de bande pectorale et, plus encore, de zone blanche sur et sous les primaires nous a rapidement permis de confirmer que nous avions affaire à un Labbe à longue queue adulte! Nous l’avons suivi alors qu’il filait vers le nord-est d’un vol très léger, comparable à celui d’une sterne. Il longeait la jonction entre deux courants où il descendait parfois cueillir quelque chose à la surface de l’eau avant de continuer sa route. Le labbe a fini par rejoindre un petit groupe de goélands posés à l’eau au nord de notre position. Il a alors commencé à faire des allers-retours dans ce secteur tout en allant régulièrement ramasser de la nourriture sur l’eau sans se poser. À aucun moment il n’a attaqué les goélands passant en vol près de lui comme l’aurait fait un Labbe parasite. Nous étions déjà surexcités par cette observation lorsqu’un deuxième Labbe à longue queue est venu rejoindre le premier!!! Les deux oiseaux se suivaient souvent de très près et, de cet angle, il était parfois possible de voir le contraste entre les couvertures sus-alaires plus pâles et les rémiges primaires et secondaires plus sombres.
Après cinq minutes d’observation, nous avons laissé les labbes pour repointer nos télescopes droit devant nous. Nous parlions encore de ce dont nous venions d’être témoins lorsque, à 10 h 15, les deux labbes sont repassés devant nous, cette fois en direction sud-ouest et en s’approchant de la rive! Les détails physiques notés plus tôt étaient encore bien visibles, tout comme leur mode d’alimentation typique de l’espèce. Après quelques instants, les oiseaux ont fait demi-tour pour redescendre vers le nord-est. Nous avons de nouveau braqué les télescopes devant nous pour attendre le passage des labbes. Il était 10 h 25 lorsque les deux oiseaux sont réapparus, produisant encore une fois une forte dose d’adrénaline! Les labbes avaient rejoint la ligne de courants et nous nous sommes gâtés en suivant longuement leurs déplacements (les rencontres avec cette espèce sont tellement rares…!). C’est alors que l’impossible s’est produit : un troisième, puis un quatrième Labbe à longue queue se sont joints au mouvement des deux premiers, suivis d’un cinquième, d’un sixième et d’un septième!!! Puisque tous ces oiseaux se dirigeaient vers le nord-est, nous avons fait pivoter lentement nos télescopes dans le sens opposé, ce qui nous a permis d’ajouter onze autres Labbes à longue queue!!!!! Ces 18 Labbes à longue queue se suivaient de très près puisqu’à ce moment, moins de 100 mètres séparaient le premier oiseau du dernier! Nous sommes demeurés sur place une heure supplémentaire à surveiller le large afin d’être certains que le passage du « groupe » était vraiment terminé. Durant cette heure (et en fait durant le reste de la fin de semaine), des questions telles : « Est-ce que nous avons rêvé??? » sont revenues continuellement!
Tous ces oiseaux nous ont semblé être des adultes (ou, du moins, il n’y avait aucun juvénile parmi eux) et portaient un plumage remarquablement similaire :
  • la calotte était noire
  • le dos et les couvertures sus-alaires étaient gris sombre
  • la face, la poitrine et le ventre étaient blanchâtres
  • aucune trace de bande pectorale n’était visible
  • les rémiges primaires et secondaires étaient noires sans trace de blanc sur et sous les primaires
  • le dessous des ailes était gris foncé uni et nous a d’ailleurs semblé être la partie la plus sombre après la calotte
  • les longues rectrices centrales caractéristiques de l’espèce n’ont pu être discernées chez les deux oiseaux que nous avons le mieux vus. Peut-être était-ce dû à la distance ou encore ces plumes étaient-elles brisées ou tombées comme c’est régulièrement le cas chez les adultes en automne? Pour les autres oiseaux, nous nous sommes surtout attardés aux détails de la poitrine et des ailes afin de confirmer l’identification et l’âge.

Il s’agit sans contredit d’une des observations les plus inusitées que nous ayons faites en plus de 40 ans d’ornithologie! Découvrir un Labbe à longue queue est déjà un événement en soit, en voir deux au cours d’une même excursion est exceptionnel, mais la possibilité d’en voir une telle quantité ne nous avait jamais effleuré l’esprit!
Qu’est-ce qui a bien pu pousser tous ces oiseaux jusqu’à Rivière-Ouelle? Il est évident que le brouillard a joué un rôle prépondérant, probablement jumelé au vent du nord-est (même s’il était léger) et à la marée montante en fin de nuit. À mon avis, les labbes ont été aussi surpris que nous de se retrouver au large du quai de Rivière-Ouelle lorsque le brouillard s’est dissipé. Arrivaient-ils de l’estuaire maritime ou encore de l’Arctique? S’ils provenaient de l’estuaire maritime, il m’apparaît surprenant qu’autant d’individus se soient retrouvés ensemble dans ce secteur au même moment. S’ils arrivaient directement de l’Arctique, ce n’est probablement qu’à leur arrivée au niveau du Saint-Laurent qu’ils ont rencontré le brouillard puisque le ciel était presque clair au-dessus de La Pocatière. Personnellement, c’est la deuxième option que je privilégie : ce groupe de Labbes à longue queue adultes a atteint le fleuve en fin de nuit, au moment où le brouillard était le plus intense et où la marée haute (la plus forte marée du mois a atteint son apogée à 5 h 41) associée au vent du nord-est laissait peut-être flotter une « odeur » de grand large qui a faussé l’orientation des oiseaux. Mais est-ce que les labbes migrent en groupe? Eh bien oui et des groupes migrateurs de 15 à 25 Labbes à longue queue ont déjà été rapportés. Du 6 au 11 août 1995, 850 adultes en migration ont même été comptés en Grande-Bretagne! Il serait surprenant que tous ces oiseaux aient été vus individuellement!
Nous avons eu encore une fois la confirmation que Rivière-Ouelle se trouve à un point stratégique pour l’observation des oiseaux de mer. Nous savons tous maintenant que le Labbe parasite peut y être observé en nombre inégalé ailleurs au Québec (voir ce message, cet autre ou encore celui-ci!). Il nous reste encore bien des choses à découvrir sur ce site et la façon dont de tels oiseaux pélagiques peuvent s’y retrouver mais, à partir de maintenant, je ne verrai plus jamais les matinées de brouillard de la même façon…!

Avant, pendant et après les Labbes à longue queue, nous avons observé 75 espèces à Rivière-Ouelle samedi le 20 août entre 5 h 15 et 12 h 00. En voici un large échantillon :
  • 37 Canards noirs
  • 1 Canard souchet
  • 2 Fuligules milouinans
  • 35 Eiders à duvet
  • 1 Macreuse à front blanc
  • 1 Macreuse brune
  • 22 Plongeons catmarins – Tous posés à l’eau, dérivant dans la ligne de courants que suivaient les fameux labbes.
  • 2 Plongeons huards
  • 10 Grèbes jougris – Seulement deux de ces oiseaux étaient en vol, les autres sont passés à l’eau devant le quai en duo ou en trio. Il est plutôt rare de voir autant de grèbes posés au quai de Rivière-Ouelle, ce qui laisse encore croire à une migration interrompue.
  • 8 Fous de Bassan
  • 57 Cormorans à aigrettes
  • 22 Grands Hérons
  • 1 Marouette de Caroline – Le passage d’un Faucon émerillon chassant les libellules au-dessus d’un étang a provoqué les cris nerveux de la part d’une Marouette de Caroline. Merci à l’émerillon d’avoir fait réagir ce discret habitant des quenouilles!
  • 1 Pluvier argenté
  • 24 Pluviers semipalmés

Un adulte avec son plumage usé à gauche et un juvénile avec son plumage frais finemant liséré de blanc à droite.
Pluviers semipalmés (Semipalmated Plovers – Charadrius semipalmatus)
Rivière-Ouelle – 20 août 2016 © Claude Auchu
  • 2 Pluviers kildirs
  • 9 Chevaliers grivelés
  • 1 Chevalier solitaire
  • 2 Petits Chevaliers
  • 3 Tournepierres à collier
  • 1 Bécasseau sanderling
  • 3 Bécasseaux minuscules
  • 19 Bécasseaux semipalmés
  • 7 Bécassins roux

Bécassins roux (Short-billed Dowitchers – Limnodromus griseus)
Rivière-Ouelle – 20 août 2016 © Claude Auchu
  • 18 Labbes à longue queue – Il s’agit de la septième mention pour la région et la quatrième en août.
  • 2 Mouettes tridactyles
  • 2 Mouettes de Bonaparte
  • 500 Goélands à bec cerclé
  • 20 Goélands argentés
  • 7 Goélands marins
  • 4 Colibris à gorge rubis
  • 3 Pics flamboyants
  • 1 Grand Pic – Un oiseau était posé sur un fil électrique en plein champ!
  • 1 Crécerelle d’Amérique – Une crécerelle était perchée dans un arbuste tout près d’un Faucon émerillon. Il est plutôt rare qu’un oiseau ose s’approcher d’un émerillon, une espèce reconnue pour son caractère belliqueux!
  • 2 Faucons émerillons
  • 1 Moucherolle tchébec
  • 4 Hirondelles bicolores
  • 2 Hirondelles de rivage
  • 2 Hirondelles rustiques
  • 1 Grive fauve
  • 2 Parulines obscures
  • 1 Paruline à joues grises
  • 8 Parulines masquées
  • 7 Parulines flamboyantes

Paruline flamboyante (American Redstart – Setophaga ruticilla)
Rivière-Ouelle – 20 août 2016 © Claude Auchu
  • 3 Parulines tigrées
  • 1 Paruline à collier
  • 3 Parulines à tête cendrée
  • 1 Paruline à poitrine baie
  • 1 Paruline à croupion jaune
  • 2 Cardinaux à poitrine rose
  • 1 Tarin des pins
  • 30 Chardonnerets jaunes
  • 1 Gros-bec errant

Nous avions déjà réservé la matinée de dimanche matin pour une excursion à Saint-Onésime lorsque j’ai appris, vendredi, qu’une famille de Dindons sauvages fréquentait un secteur bien défini! Dans la région, le statut de ce gros gallinacé aux origines souvent douteuses se limite encore à celui de visiteur exceptionnel. En plus de quelques observations sans équivoques provenant principalement de la région de Saint-Pamphile, je connais plusieurs mentions de « seconde main » provenant de Rivière-Ouelle, Saint-Pacôme et Saint-Onésime. Il m’apparaît de plus en plus certain que le dindon fait vraiment partie de notre avifaune et pas seulement de façon exceptionnelle.
Malgré un petit détour de notre part dès le lever du soleil, nous n’avons pas réussi à trouver les dindons. Notre promenade s’est ensuite déroulée rondement malgré le vent qui soufflait furieusement du sud-ouest. Le nombre de parulines identifiées s’en est trouvé diminué; nous avons d’ailleurs réussi à identifier moins d’une dizaine d’individus d’un groupe de plus de 40 parulines qui a traversé une route devant nous.

Dimanche le 21 août, notre promenade à Saint-Onésime s’est tout de même terminée avec 56 espèces observées entre 5 h 50 et 11 h 20, comme, par exemple :
  • 1 Busard Saint-Martin
  • 1 Autour des palombes – Les rencontres avec ce rapace sont toujours fortuites. Dimanche, c’est un immature qui est venu nous surprendre.
  • 2 Chevaliers grivelés
  • 7 Colibris à gorge rubis – Nous sommes présentement dans la période de l’année où les colibris sont les plus abondants et ce fut bien évident dimanche matin. Aucun n’a pourtant été vu à un abreuvoir.
  • 1 Martin-pêcheur d’Amérique
  • 1 Pic maculé
  • 2 Pics mineurs
  • 1 Pic chevelu
  • 1 Pic flamboyant
  • 1 Crécerelle d’Amérique
  • 1 Faucon émerillon
  • 2 Moucherolles tchébecs
  • 1 Moucherolle phébi
  • 1 Viréo à tête bleue
  • 15 Viréos aux yeux rouges
  • 8 Geais bleus
  • 150 Corneilles d’Amérique – Nous avons fait notre entrée dans Saint-Onésime juste au moment où des corneilles quittaient leur dortoir!
  • 2 Hirondelles à front blanc
  • 3 Hirondelles rustiques
  • 17 Mésanges à tête noire
  • 12 Sittelles à poitrine rousse
  • 1 Grive fauve
  • 25 Merles d’Amérique
  • 8 Parulines obscures
  • 10 Parulines masquées
  • 2 Parulines flamboyantes
  • 11 Parulines tigrées – Voilà une espèce qui profite pleinement de l’invasion de Tordeuses de bourgeons de l’épinette qui sévit dans le nord et l’est du Québec!

Paruline tigrée (Cape May Warbler – Setophaga tigrina)
Saint-Onésime – 21 août 2016 © Claude Auchu
  • 4 Parulines à collier
  • 4 Parulines à tête cendrée
  • 5 Parulines à poitrine baie
  • 6 Parulines à gorge orangée
  • 1 Paruline jaune
  • 4 Parulines à flancs marron
  • 1 Paruline bleue
  • 1 Paruline à couronne rousse
  • 3 Parulines à croupion jaune
  • 3 Parulines à gorge noire

Paruline à gorge noire (Black-throated Green Warbler – Setophaga virens)
Saint-Onésime – 21 août 2016 © Claude Auchu
  • 3 Cardinaux à poitrine rose
  • 1 Goglu des prés
  • 75 Quiscales bronzés
  • 12 Roselins pourprés – Il est surprenant qu’aussi peu d’individus soient présents dans le village et les forêts de Saint-Onésime, surtout que j’en ai vu 20 dans une même mangeoire à La Pocatière durant l’après-midi!
  • 1 Bec-croisé bifascié
  • 16 Chardonnerets jaunes
  • 5 Gros-becs errants

Pour nous, cette fin de semaine passera à l’histoire comme étant celle des 18 Labbes à longue queue. Même munis de puissantes lunettes d’approche, les 14 kilomètres d’eau salée entre le quai de Rivière-Ouelle et Saint-Irénée, dans Charlevoix, offre amplement de cachettes aux espèces pélagiques. Nous savons bien que les trois ou quatre heures que nous y passons une seule matinée par semaine ne nous permet pas de tout voir. J’ose à peine imaginer ce que l’on manque…!